« As the hours pass I will let you know That I need to ask Before I'm alone How it feels to rest On your patient lips To eternal bliss I'm so glad to know »
Maureen chantonne cet air qu’elle a entendu plusieurs fois à la radio ces derniers jours. Oh, non pas qu’elle soit une grande fan de ce genre de musique, mais à force de l’écouter en fond sonore, ça fini par rentrer dans la tête et ne plus en ressortir ; comme un disque rayé.
Là, en arrangeant les bouquets d’exposition pour aider un peu sa patronne, Maureen fait et refait les mêmes gestes, mécaniques et sans trop de saveurs. Elle n’oublie pas que ce job lui offre une sécurité relative et surtout une planque idéale. Qui irait chercher l’ex-meuf d’un petit con trop ambitieux dans une boutique pareille ? Pas elle, en tout cas.
Mais bon, vivement que cette assignation finisse. Non pas qu’elle n’apprécie pas Astrid – au contraire, enfin un être humain qu’elle n’a pas envie d’envoyer bouler dès que leurs regards se croisent – mais elle sent bien que sa vie est ailleurs, même si c’est difficile pour Maureen de se projeter pour le moment. Elle a un fils, elle ne doit en aucun cas l’oublier. Sauf que c’est compliqué de faire des projets pour une personne dans sa situation, alors pour deux…
Son fredonnement et ses pensées vacantes s’arrêtent lorsqu’une silhouette apparaît dans sa vision périphérique. Une femme vient d’entrer. « B’jour. J’peux vous aider p’t’être ? »
Elle aurait surement l’air un peu plus accueillante si elle n’avait pas en prime une chewing-gum dans la bouche. Mais bon Maureen apprend déjà à vivre comme une personne « normale », on va pas lui demander de sauter trop d’étapes d’un coup.
Je crois qu’on est au bon endroit, t’en penses quoi Sherlock ?
Eh oui tu n’en penses rien car tu es un chien mon vieux. Mais ce n’est pas grave, tes yeux me suffisent à répondre à ma question. J’avais faim, ma salive s’amassait dans ma bouche. Non. Je t’interdis de manger les fleurs Sac à puce. Je n’ai pas envie de payer pour tes conneries tu me coute déjà bien assez chère en croquette. Puis on n'est pas là pour ça. Celle que je cherchais m’avait déjà donné du fil à retordre. Difficile de trouver quelqu’un qui n’avais pas envie d’être trouvé. C’était l’impression que ça me faisait en tout cas. J’avais été obligé de suivre un temps Jewel pour découvrir l'endroit où je pourrais trouver cette fameuse Maureen dont l’image et le nom m'avais frappé plusieurs fois.
Au travers des vitres fines, je réussissais à capter quelque chose. How it feels to rest. Je m'accroupis, pour me retrouver au niveau des roses posées en devantures, faisant mine de me délecter des arômes qui emplissaient mes sens. On your patient lips. Au travers des yeux de Sherlock, je vis une jeune femme remettre en place les fleurs en exposition dans la vitrine de la boutique. Je la reconnaissais. J’étais au bon endroit. Le front plissé je me concentrait davantage pour percer les portes de sa conscience. Plus je me concentrais sur cette fille, et plus les doutes m’envahissaient. To eternal bliss . Je pensais à ma vie présente, a ce qu’elle pourrait devenir après. Après quoi ? Je pensais à mon enfant, mon fils... Je me concentrais encore d’avantage pour en saisir plus. I'm so glad to know. Merde, fait chier cette musique, pourquoi j’ai ça dans la tête ?
Il fallait que je me rapproche. A cette distance, les pensées étaient confuses, dans le désordre. Il était temps de voir avec quels genres de personne traine notre petite Jewel. Elle devait avoir une certaine importance pour elle. Maureen. Maureen. Ce nom résonnait plusieurs fois dans ma tête lorsque je m’approchais de la jeune mutante. Je poussais le pas de la porte qui s’ouvrit en carillonnant. Elle était seule, c’était parfait. Elle finissait ce qu’elle faisait en se tournant vers moi.
B’jour. J’peux vous aider p’t’être ?
Je me tournais vers la jeune femme, d’abord étonné par le contraste entre son apparence délicate, les délicieuses fleures qui l’entoure et... son ton si... sec, surtout pour une commerçante. Mais je cachais mon offense et lui répondit d’un ton que je voulais le plus aimable possible.
Bonjour, oui vous allez certainement pouvoir m’aider je... voilà j’aimerais vous acheter un bouquet ou une plante pour une amie qui se trouve à l’hôpital. Mais... on va dire que je ne vais pas pouvoir vous aider plus que ça sur... ce à quoi ça doit ressembler.
Avec un sourire gêné, je montrais ma canne blanche pour lui faire comprendre ce que j’entendais par là. D’un geste, je fis s’assoir Sherlock qui obéit sans broncher. Sa queue tambourinait le sol sous l’excitation d’une nouvelle rencontre et de toutes ces nouvelles odeurs qui l’entouraient. Je posais ma main sur sa tête pour le calmer. Ne me fait pas honte sac à puce, sinon tu vas finir en tapis. Puis je poursuivais en conservant mon sourire plaqué sur mes lèvres.
Du coup je ne peux que m’en remettre à vous ! S’il vous plait.
Ça ne lui aura pris que trois secondes en tout. Trois petites secondes pour se rendre compte de sa connerie légendaire. Trois secondes pour apercevoir la canne de la potentielle cliente et réaliser qu’elle venait de presque rembarrer une aveugle.
Putain mais Maureen t’en rates pas une espèce de connasse ; ces mots-là résonnent dans son crâne alors qu’elle se les assène toute seule. On peut lui reprocher beaucoup de chose mais pas de nier lorsqu’elle a merdé. Enfin, sauf cette fois-là, mais ça compte pas. L’amour ça rend con après tout, tout le monde le sait et le monde ne s’est jamais arrêté de tourner pour si peu.
« Euh… Oui je… » Les yeux de Maureen essai de voir si Astrid est là et ses oreilles guette le son de cette voix attendu. Rien. Pour le moment elle est seule avec cette femme. Merde.
Bon, quand faut y aller, faut y aller.
« Je vais voir avec vous. Enfin, pas voir mais… » Bon, elle continuait à s’enfoncer et se serait volontiers cogné la tête dans le mur le plus proche pour compenser. « Oubliez, c’est pour une amie ? Ou est-ce que vous avez une relation différente avec cette personne ? » Sur le moment, la question lui était apparue logique, après tout on offre pas la même chose à un collègue de taff qu’à une personne avec qui on couche, pas vrai ?
Et puis au pire, Maureen n’avait pas vraiment posé de questions qui fâchent, si la cliente n’était pas contente, elle n’aurait qu’à le dire, basta.
Son regard s’attarda sur ma canne. Elle n’avait pas besoin de dessin. Putain Maureen… connasse… Un sentiment de honte me réchauffa le visage. Mais je cachais cet embarra que la fleuriste me faisait ressentir en fouillant dans mon sac pour en sortir une friandise pour le chien, m’attardant pour lui gratifier d’une caresse. C’était amusant cette… façon de réagir qu’ont les gens en présence "d’invalides ". Comme si on méritait un meilleur traitement que les autres à cause du " lourd fardeau " que nous avait collé la vie. Empathie, pitié. C’était souvent ce que je ressentais. Alors que finalement il y avait autant de chance d’être en face d’un connard handicapé que d’un connard valide. C’est statistique. Peut-être même plus de chance encore. Lorsque notre malheur nous donne accès à certains… privilèges, il est difficile de s’en priver. On peut se cacher derrière des illusions de mérites mais personne ne mérite rien. On prend ce qui se présente, c’est tout. Je n’en faisais pas exception. T’en fait pas Maureen, il se pourrait bien qu’il y ait plus d’une connasse dans cette pièce. Et je ne parle certainement pas de Sherlock.
Euh… Oui je…
Je me relevais. Elle semblait chercher quelqu’un dans l’arrière-boutique. Une collègue peut être. Il y avait donc une autre personne ? Dans son regard je cherchais Astrid. Astrid ? Merde. Ou que soit cette Astrid, elle ne viendrait pas nous déranger dans l’immédiat. Certainement la gérante de cet endroit. Est-ce que la jeune femme venait de commencer sa formation ici pour manquer autant de confiance pour répondre à ma demande ? Je notais l’information dans un coin de ma tête. Peut être que ça pourra servir?
Je vais voir avec vous. Enfin, pas voir mais…
Bordel Maureen arrête de t’embourber, souffle un coup ça va le faire. Sérieux je vais finir par m’étouffer avec cette chaleur. J’avais maintenant envie de me frapper la tête dans le mur. Franchement, c’est pas un peu extrême ?
Oubliez, c’est pour une amie ? Ou est-ce que vous avez une relation différente avec cette personne ?
Il fallait que la mette en confiance avant qu’elle ne me fasse suer des cheveux. J’avais pas prévu de les laver ce soir.
Ne vous en faites pas, vous n’avez pas besoin de vous justifier, vous pouvez parler naturellement. C’est une amie oui ! Une amie assez proche en fait. Ça fait maintenant plusieurs années que nous nous connaissons. On peut dire que… que je lui dois la vie. Et comme je ne suis pas capable de lui rendre la pareille maintenant eh bien je… je lui achète des fleurs. C’est un peu futile je sais…
Ça a quelque chose de touchant, non ? Je détournais le visage, ce n’était pas difficile d’avoir l’air gêné à mon tour, je n’avais qu’à me servir de qui était déjà là. Mais je devais y aller progressivement, j’en disais peut-être un peu trop. Attirer un peu la pitié, gagner la confiance puis évoquer des souvenirs… Je ne voulais surtout pas qu’elle se braque. Je ne savais pas à quoi m’attendre avec elle. Il va falloir que je trouve où appuyer si je ne voulais pas rentrer en ayant l’impression d’avoir perdu mon temps et mon argent avec des fleurs qui finirons certainement dans l’estomac du Sac à puce.
Mais excusez-moi je raconte ma vie, je ne veux pas vous faire perdre votre temps !
Ah. Et en plus c’était pour une personne qui lui avait sauvé la vie, apparemment.
« C’est cool. »
Y’en a qui ont de la chance. Elle, c’était un flic trop paternaliste qui l’avait tiré des emmerdes, certainement pas des amis. Et certainement pas Damian. Maureen se mord la langue au sang et ne le remarque que quand le goût désagréable du fer se lie avec le parfum mentholé de son chewing-gim. Dégueu.
« Laissez-moi réfléchir. »
La signification des fleurs, elle avait eu tout un chapitre barbant de mini-formation dessus. Est-ce qu’elle allait seulement s’en souvenir, au moins ? Son regard se laissa aller à errer dans la boutique, comme si voir les fleurs pourrait l’aider à se souvenir de ce qu’elles veulent dire.
Une rose jaune, peut-être ? Ouai non, mauvais bails. Ok c’était une fleur d’amitié et c’était aussi fait pour réconforter une personne qui traverse une période difficile mais… et après ? Peut-être que l’amie de la cliente, dans son lit d’hôpital, n’en avait rien à foutre des réconforts. Généralement c’est même perçu comme de la pitié, Maureen le savait bien, pour avoir travaillé en tant qu’infirmière. Y’avait tout un taff de psycho’ à faire derrière.
Bon… Ses pupilles glissèrent vers les tournesols. Pas convaincue non plus. C’était peut-être une amitié sincère, ok on est content, mais un tournesol ça prend de la place. Il faut aussi penser à l’aspect pratique. Déjà qu’elle puisse amener des fleurs, certains hosto’ sont pète-couilles avec des notions d’hygiènes à la mort moi l’nœud.
Elle a finalement un genre d’illumination.
« Des campanules, c’est à la fois petit, pratique et ça résiste longtemps, vu que c’est en pot. Pas trop gourmand en entretien non plus. Et ça symbolise l’amitié gratifiante. Je sais pas si vous vouliez faire passer un message du genre ? Sinon je peux continuer de chercher."
Pitié, faites que ça lui plaise, Maureen n’est vraiment pas à l’aise de chercher sur un domaine qu’elle ne maîtrise pas encore.
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