« Le Mal est relatif, annaliste. On ne peut pas lui mettre d'étiquette. On ne peut ni le toucher, ni le goûter, ni l'entailler avec une épée. Le Mal dépend de quel côté on se trouve, de quel côté on pointe son doigt accusateur. »
De caractère« Njàll ? Difficile de savoir grand-chose à son sujet. Lorsque vous croyez le connaître, il s’amuse à renverser la table si bien que vous avez tout à recommencer. Enfin, je suppose que ça n’arrive qu’avec les personnes qu’il fréquente un tant soit peu. Si vous contentez de le croiser de manière occasionnelle, vous ne verriez pas la différence.
La première fois que j’ai croisé Njàll, j’ai d’abord songé qu’il s’agissait d’une personne tout à fait respectable, peut-être même un apprenti héros ? Avec son sourire éclatant et sa bonne humeur, c’était tout à fait possible. Ça lui aurait bien convenu, d’ailleurs. Je suis certaine qu’il aurait été très populaire, avec son sourire et ses mèches blondes, sans parler de sa nonchalance qui lui donne un style ; un tombeur.
Puis j’ai découvert, un peu contre son gré, qu’il fricotait davantage avec les Illegals que les Supers. Là, j’ai entraperçu une part plus sombre ; l’hypocrisie derrière le masque des sourires bienveillants. La ruse. L’homme qui tire les ficelles avec habileté.
Ça n’a pas duré. Comme nous sommes dans le même camp, chacun de notre côté à faire notre tambouille, il a passé l’éponge et recouvré ses airs sympathiques.
Qui sait ce qu’il cache encore, s’il n’y a pas une « troisième » couche bien enterrée ? Njàll est prudent. Il choisit avec soin ce qu’il dévoile, et à qui. »
— Belette, au sujet de Njàll
Observateur Bavard Rusé Vigilant Nonchalant Cynique Manipulateur PrudentAnecdotes/histoire« death is upon us. she hides in the shadows. not every shadow, but any shadow. »«
Astrid Móðir,
Je ne suis pas mort, si c’est ce qui t’inquiètes.
De toute façon, je ne sais même pas pourquoi je t’écris cette lettre que je ne t’enverrai pas. Un instant marqué par les regrets et les « peut-être », éventuellement. Je ne sais trop.
Je ne sais même pas par où commencer. Cette lubie soudaine de t’écrire m’échappe complètement. Ce n’est pas comme si je te pardonnais pour autant.
Je ne sais pas comment tu as pu tomber sous le charme de cet homme. De ce « héros » qui accumulait les conquêtes les unes après les autres comme des trophées. Je n’étais pas prévu. L’enfant indésiré.
Il t’a payée pour que tu gardes le silence, parce que c’était plus discret que de provoquer un « accident » pour se débarrasser du gosse que tu voulais garder. Pourtant, il avait les moyens, corrompu comme il était. Il fricotait avec les mafieux de la région, bouffait à tous les râteliers sans que personne ne le remarque.
Pendant des années, tu as espéré son retour. Tu as cru qu’il t’accorderait un regard, que tu serais davantage qu’une simple conquête. Quand il est revenu, tu l’as accueilli à bras ouverts sans te soucier des conséquences. Tu étais aveugle face à la réalité. C’est même toi qui l’as poussé à revenir. Quand mes pouvoirs se sont déclarés, vers ma dizaine d’années, tu l’as averti, prévenu. Tu pensais le rendre fier. Je suis sûr que tu le lui as dit :
« Ton fils a des pouvoirs. », avec le sourire aux lèvres, aussi naïve que tu puisses être.
Et il est revenu. Il s’est immiscé dans notre vie. Tu lui as ouvert grand la porte, inconsciente du danger qu’il représentait. Il n’en avait rien à faire de toi. Il ne t’aimait pas.
Il ne t’aime toujours pas. Tout ce qu’il voulait, c’était tirer profit de son gosse avec des pouvoirs ; le gosse dont personne ne connaissait l’existence.
La suite, tu ne la connais pas. Tu n’as su que ce qu’on voulait bien te dire – c’est-à-dire pas grand-chose.
Même maintenant, coucher la vérité sur le papier s’avère délicat, et je ne le ferai pas. Je ne préfère pas. Autant se contenter des grandes lignes.
Pour le dire simplement, il s’est servi de moi. Tu le sais, même si tu n’as pas voulu le voir au début. Tu as seulement voulu croire qu’il m’entraînait, qu’il cherchait à m’aider à mieux contrôler mes pouvoirs. Tu n’as pas voulu voir la contrainte derrière, voir à quel point il plaçait ses ambitions sur moi et me réprimandait à la moindre erreur. A tes yeux, il me poussait seulement à donner le meilleur de moi-même pour devenir un héros comme lui. A aucun moment tu n’as vu la supercherie, à quel point il se servait de moi pour gagner de nouvelles faveurs ou pour des tâches criminelles. Tu ne sais pas ce que j’ai fait pour cet homme.
Comment pourrais-tu le savoir. Tu étais aveugle. Tu as toujours refusé d’ouvrir les yeux.
Il levait la main sur toi, et tu n’as jamais imaginé qu’il puisse faire pareil avec moi.
Même lorsque je me suis retrouvé à l’hôpital à douze ans, tu n’as rien voulu entendre. Ce n’était qu’un accident, il disait. Tu le répétais comme un perroquet. Tu n’as jamais cherché à te questionner. A remettre en question sa parole.
Tout allait bien dans le meilleur des mondes pour toi. Et tu te demandes encore d’où provient le ressentiment que j’éprouve envers toi.
Il a fallu que je me retrouve à l’hôpital pour la seconde fois à quinze ans pour que tu te réveilles de cette transe. Que tu ouvres les yeux. Seulement là, tu as compris à quel point tu avais été aveugle, parce que mes blessures n’avaient rien d’un accident. Tu as alors cherché à fuir, en m’emmenant avec toi.
Mais comment fuir un homme pareil ? C’était impossible. Il nous a rattrapés. Je sais ce qu’il a fait. J’étais assez grand pour écouter votre discussion discrètement. Il s’est assuré que tu ne recommettrais pas la même erreur. Il t’a menacée de disparaître avec moi, t’a aussi volé des papiers d’identité. Tu étais coincée, et tu as baissé les bras au lieu de chercher une solution.
Il m’a menacé aussi, pour s’assurer que je ne chercherai pas à fuir. Avec cette fugue, il sentait son contrôle sur moi s’étioler.
Si je partais, il mettrait un point d’honneur à faire en sorte que tu ne revoies jamais la lumière du jour. Il te condamnerait au monde de la nuit, et je le connaissais assez pour savoir qu’il le ferait en un claquement de doigts.
Alors j’ai enduré ses exigences, encore et encore, jusqu’à ce que le scandale éclate.
Manipulations. Pots-de-vin. Corruption. Détournements de fonds publics. Les chefs d’accusation pleuvaient contre cet homme. Tu as voulu témoigner contre lui pour dénoncer tous les abus familiaux.
Puis la justice a étouffé le scandale. Contre-vérités sur contre-vérités. La presse annonçait tout et son contraire. Affaire classée sans suite. Merci et au revoir.
Le gouvernement t’a versé des indemnités pour t’inciter au silence et te pousser à quitter le pays. Notre présence dérangeait. La menace d’un accident nous a forcés à obtempérer.
Vancouver. Je ne sais pas pourquoi tu as choisi le Canada. Le climat, peut-être ? La neige m’aurait manqué.
J’ai fait semblant d’aller à l’école, pour te rassurer. Pour préparer la suite. Dès que j’ai eu dix-neuf ans, j’ai fugué. Je n’ai même pas cherché à te prévenir. Je ne voulais pas devoir te rendre des comptes. Je ne veux toujours pas, à part lorsqu’une lubie soudaine comme celle-ci me frappe. Et comme je suis majeur, tu ne peux rien faire.
Mais ne t’inquiète pas. Je m’en sors mieux ainsi. C’est que je préfère. J’ai même abandonné mon nom pour que personne ne remonte jusqu’à toi. De toute façon, avec mes ailes désormais, je peux difficilement prétendre à l’anonymat, alors autant embrasser pleinement une nouvelle vie. De toute façon, ce n’est pas comme si l’illégalité était véritablement un domaine inconnu pour moi.
J’aime à croire que je sais ce que je fais. Ou presque.
Belette me dit toujours que j’ai un sacré souci avec ce problème – et elle ignore tout de mon passé. De qui je suis réellement.
Je ne sais toujours pas pourquoi j’écris cette lettre morte. Il y a trop de non-dits dans notre famille pour espérer une amélioration. »
— 28 décembre 2021, lettre brûlée